Odyssée d’une malle Moynat : de Paris à Marseille en 1922

« Oh la la mais qu’il fait chaud à Lyon ! Heureusement je peux profiter d’une petite brise sur le quai pendant les quelques minutes d’arrêt… cette vague de chaleur ne va donc jamais s’arrêter ! Regardez, ici, sur le tableau d'affichage ! Constatez-le par vous-même, déjà plus de 35°, alors même que nous ne sommes que début juin 1922! J’espère qu’à l'arrivée à Marseille le mistral sera au rendez-vous pour nous rafraîchir….

Même le personnel de Maison était en sueur en me préparant hier soir. Un peu plus et on loupait ce cher André du Courrier ! Ce transporteur qui ne prend pas toujours très bien soin de moi je dois bien l’avouer… alors que je lui fais quand même honneur en portant son nom – la malle courrier !

En même temps, le pauvre, comment lui en vouloir ? Je pèse un certain poids chargée des affaires de mon propriétaire. Mes deux châssis sont bien remplis : costume 3 pièces, avec une chemise à manches longues blanche, une à rayures et une de couleur claire. Et évidemment il faut prévoir toutes les options… avec col et poignets détachables svp ! Rochas, Jean Patou, Lanvin, les trésors de ces grandes maisons reposent sagement sous mon couvercle… les matières sont magnifiques, si douces !

À cela s’ajoutent une cravate, un gilet de costume, une veste de costume, un pantalon de golf assez large, des chaussettes montantes et bien sûr des chaussures. Il en est si friand qu’il les fait confectionner sur mesure : richelieu, derby, chaussures à lacets, parfois bicolores. Tiens, en voilà une que je découvre. Cette nouvelle paire porte la signature d’un bottier italien qui vient de s’installer à Paris, un certain Berluti…

N’oublions pas les détails qui ont aussi leur importance : pochette, bretelles, épingles de cravate, lunettes… le tout en trois couleurs : le beige et le blanc, réservés aux garden-party, aux cocktails et autres activités décontractées de l’après-midi, et une couleur plus sombre pour le chic du soir….

Enfin bon, pour en revenir à notre périple, nous sommes partis à 21h de Paris avec le rapide n°2. Nous avons déjà fait 3 arrêts et à peu près 4h de trajet avant cet arrêt à Lyon. Nous faisons tout ce chemin grâce à la Compagnie des Chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée ; la fameuse ligne impériale PLM. Celle-ci nous est bien utile, et franchement, m'évite bien des déconvenues : la dernière fois que j'ai fait un trajet en voiture sur les routes très peu goudronnés, j’ai failli être éjectée du véhicule alors que je me rendais seulement à Melun !

Mon modèle de malle courrier n'avait pas encore vu le jour que le futur Napoléon III inaugurait cette ligne de 863km, reliant Paris à Marseille, en passant par Lyon. C'est tout de même incroyable !

Une page s’est définitivement tournée avec la mort de son épouse, l’impératrice des Français, Eugénie, il y a déjà 2 ans… Mais ne soyons pas nostalgiques aujourd'hui, chassons ces souvenirs tristes.

Tendez l’oreille… J’entends au loin Radio Tour Eiffel émettre la dernière chansonnette d’Andrée Perchicot…

C’est la mode et voilà tout, elle pèse simplement son poids à transporter… heureusement que j’existe ! Que c’est bon d’écouter cette nouvelle invention, une radio en diffusion C'est tout récent, la première diffusion date seulement de décembre dernier, mais je ne peux déjà plus m'en passer.

Qu’il me tarde d’arriver à Marseille et d'être installée dans le salon d’hiver gorgé de soleil de Marguerite, chez qui nous logeons, sur l’avenue du Prado.

Je l’adore Marguerite, elle est si belle, c’est une grande actrice ! il est vrai que je suis peu objective… C’est grâce à elle que tout a commencé pour moi, lorsqu’elle a recommandé Madame Pauline Moynat à mon propriétaire pour réaliser sa malle de voyage. Un autre destin unique, cette chère Pauline. Elle est arrivée de Savoie à Paris à l'âge de 16 ans. Attirée par le métier d'artisan malletier, elle démarra son apprentissage dans cet univers jusque-là entièrement masculin. Si vous l’entendiez parler de l’élégance et du raffinement de la Ville Lumière... c’est tout naturellement qu’elle devint fournisseur officiel des théâtres parisiens grâce à son travail et sa persévérance ! C'est au théâtre justement que Marguerite a découvert le travail de Pauline.

Enfin ! J’entends la cheminée à vapeur, la pause fut rapide. Encore 7h de trajet pour atteindre la Méditerranée... Je crois que je vais faire un petit somme, le trajet passera plus vite… Je sens déjà la chaleur du soleil sur mon cuir, les odeurs du Vieux Port. Bientôt, je serai avec ma chère Marguerite. À moi l’aventure !