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Échos d’époques : le témoignage vibrant de la sonnette du Cadogan

Microphone
podcast
CalendarBlank22 décembre 2023
Clock6 minutes d'écoute

« Hello Sir, welcome to The Cadogan! I will keep you company while our team prepares your check-in... Oh, mais, attendez, vous êtes français ! Dans ce cas ; bienvenue. Vous avez fait bon voyage ? Très bien. Je vous invite à vous assoir juste ici, au coin du feu. C’est l’occasion de faire connaissance avant que vous ne montiez découvrir votre magnifique suite. Comme vous pouvez le voir, l'esprit de Noël est bien présent en cette fin d’année 2023... Regardez comme nôtre lobby est élégamment décoré ! Ah Noël... On arrive enfin à ma période préférée ! Je suis témoin privilégié de cette magie festive. J’ai l’une des meilleures vues sur l’installation du sapin ; ses décorations blanches et rouges créent une palette harmonieuse avec le bois chaud de notre majestueux escalier, situé juste derrière moi ! Je me régale de ce spectacle joyeux renouvelé chaque année depuis 1887, car je suis la fameuse sonnette de réception, posée en évidence sur le bureau du concierge. 

Mon premier Noël ici remonte à l'année d'ouverture de l'hôtel, en 1887, fraîchement arrivée de Paris. Je vous l’accorde, c’est un peu atypique pour une sonnette comme moi d’avoir fait ce long voyage ! J’étais un cadeau symbolique – offert au Lord Cadogan par l’un de ses amis - qui voyait en moi une nouveauté, brillante et prometteuse... Un système qu’il avait d’ailleurs découvert dans un palace parisien. Je fus conçue sur mesure, destinée à ma nouvelle vie dans ce quartier de Chelsea alors en pleine métamorphose. Les façades en briques rouges et les ornements architecturaux victoriens m'entouraient. Nous venions d’ailleurs de célébrer le jubilée d’or de la Reine Victoria, marquant le 50ème anniversaire de son accession au trône !

J’étais - et je suis toujours – l’un des moyens les plus efficaces pour un client qui souhaite solliciter le personnel de l’hôtel. Une simple pression sur mon bouton poussoir fait retentir cette tonalité propre qui attire l’attention de tous ! Oscar Wilde adorait en jouer, jusqu’à faire tourner en bourrique notre équipe de réception... En quelle année étions-nous déjà... c’est toujours compliqué de se rappeler précisément des dates quand on a un siècle d’histoire derrière soi. Laissez-moi quelques secondes de réflexion... Peut-être 1894 ? Hummm... non non non,  cette année-là, c’était le cocktail organisé par Lord Cadogan pour l’inauguration du Tower Bridge en présence du prince de Galles... ah, mais il me semble que c’était tout simplement l’année suivante ! 

En 1895 donc, l'atmosphère était électrique, chargée de rires et de festivités. Oscar Wilde et Lillie Langtry, amis de longue date, franchissaient souvent les portes du Cadogan. Leur amitié, dont la naissance remonte à 1876 (il avait alors 22 ans et elle 23) était palpable dans leur complicité. Lillie, avec sa chevelure auburn et ses yeux d'un bleu profond, était l'âme de la fête, tandis qu'Oscar promettait de lui écrire des sonnets jusqu'à ses 90 ans. Quelle élégance cet Oscar ! Il lui offrait d’ailleurs fréquemment des amaryllis  et des lys, qu'il achetait sur les marchés aux fleurs de Covent Garden. Le personnel de l’hôtel ne savait plus comment ajuster les bouquets dans sa chambre tant ils étaient nombreux ! Quant à moi, je profitais de l’odeur des fleurs à leur passage par la réception... 

Il faut savoir que Lillie était une voisine de l’hôtel, dont elle en est indéniablement devenue une figure emblématique ! Elle brillait autant dans la vie que sur scène. Elle était installée au 21 Pont Street lorsque le bâtiment fut exploité par l’hôtel et rattaché à la bâtisse principale. Elle conserva néanmoins ses quartiers. La porte de sa maison sert aujourd'hui d’entrée privée de l'hôtel, en hommage à sa légende... Une belle entrée victorienne en briques rouges... Peut-être l’avez-vous vue en arrivant ? Magnifique n’est-ce pas. L’influence de Lillie dépassait les scènes de théâtre, elle était une pionnière de la publicité moderne, une influenceuse avant l'heure avec ce fameux slogan "pour le teint, je préfère le savon Pears à tout autre". 

Chaque tintement que j'émettais annonçait une nouvelle histoire, un nouveau secret parfois, et malheureusement un jour un évènement beaucoup plus sombre... Ce cher Oscar Wilde a été arrêté en avril 1895 dans sa chambre, la numéro 118. Il avait alors 41 ans. Cet événement a marqué l'histoire et a changé à jamais la perception du public pour le célèbre écrivain. “Les folies sont les seules choses qu’on ne regrette jamais “. Une plume que l’on n’oubliera pas.

Les époques se sont ensuite succédé, chacune marquée par des styles bien distincts. Laquelle ai-je préféré ? Hummm... J’ai particulièrement aimé les années 90, une période si différente de celle dont je suis originaire ! Je me souviens des « Sloane Rangers », les jeunes locaux qui firent de l’hôtel leur quartier général, croisant les top-models, à l’occasion des défilés de couture... beaucoup fredonnaient cette musique... reprendre l’air de la chanson c’était un vrai “hit” il me semble... Vous connaissez ? 

Tiens, on me sonne. Il est temps de reprendre du service ! Il est bientôt 19h. Vous avez remarqué comme une brise froide est entrée dans le lobby ? Le thermomètre est proche des 0 degrés en ce 1er décembre 2023. Heureusement, je ressens la chaleur douce du feu de cheminée jusqu’au comptoir. J’entends qu’un charmant client souhaite déjeuner dans le restaurant de l'hôtel The LaLee. D’ailleurs, pourquoi porte-t-il ce nom à votre avis ? C’est évidemment un hommage à Lillie Langtry ! Je vous invite à découvrir le menu, vous verrez qu’il est inspiré de ses voyages à travers le continent. Ce client est apparemment accompagné de ses deux enfants, ils semblent avoir entre 4 et 6 ans... ils observent le sapin, et surtout les cadeaux à ses pieds, avec émerveillement. Je ne m’en lasserai jamais. J’ai vu ce monde changer, de l’époque Victorienne à l’ère moderne, mais certains éléments, comme l’esprit de Noël, restent intemporels, sur une même ligne de temps...»