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Confidences nacrées d'une perle de culture de la Maison FRED

Microphone
podcast
CalendarBlank23 novembre 2023
Clock6 minutes d'écoute

« Brrr qu’il fait froid à Paris en ce mois de novembre 1998, heureusement que le chauffage commence doucement à augmenter la température de l’atelier.

Je réside ici, précieusement conservée depuis mon montage, qui remonte seulement à cet été. Je suis une pièce-clé du bracelet INCA ! Enfin, me voilà un peu égoïste, n’oublions pas mes voisines. Nous ne sommes pas moins de 24 perles de culture pour composer ce magnifique bracelet de Haute Joaillerie de la Maison FRED.

Et nous ne sommes pas que des perles sur cette création ! D’autres merveilles cohabitent avec nous sur cette maille souple en or blanc.  Il y a des diamants - taille princesse et brillant -, mais également de magnifiques saphirs cabochons. ooooh leur couleur océan me fait tellement penser aux eaux chaudes où j’ai vu le jour, bercée par les vagues... Rien que d’y penser, ça me réchauffe.

Mais j’y pense... Savez-vous comment nous naissons, nous les perles de culture ? Non, pas la moindre petite idée ? Allez, je vous raconte. À l’origine, les perles fines naissent de l’intrusion d’un corps étranger à l’intérieur d’une huître – il s’agit le plus souvent d’un grain de sable (sans grand étonnement). Afin de neutraliser le corps étranger, l’huitre sécrète alors de la nacre qui enrobe l’intrus... Mais, couche après couche, une perle se forme ! Tout a commencé pour moi et mes voisines au Japon, lorsque Kokichi Mikimoto a perfectionné en 1896 un processus révolutionnaire - et breveté bien sûr. La technique consiste à introduire manuellement le corps étranger dans l’huître – sans lui faire de mal bien entendu – puis la relâcher dans son habitat naturel afin qu’elle effectue son travail d’enrobage de nacre. Impressionnant non ?

Alors évidemment, cela a été un véritable chamboulement pour le milieu de la joaillerie. Il y a même eu un procès en 1928-1929 donnant raison aux marchands de perles fines d’Orient, qui nous priva du qualificatif « fine ». Pourtant, nous étions promises à un grand avenir, et cela Fred Samuel a su le repérer ! Oh, mais écoutez !  Ça tombe bien, mon explication touche à sa fin. J’ADORE ce nouveau tube qui berce les ondes depuis le mois de septembre !

Je rejoins ma douce propriétaire tout à l’heure. Que j’ai hâte ! L’autre jour, elle racontait justement qu’elle projetait de nous porter – mes voisines et moi - pour aller voir ce fameux spectacle dont tout le monde parle, la comédie musicale inspirée du roman de Victor Hugo « Notre Dame de Paris » !

Ah, ça me revient... Je voulais aussi vous raconter la chance IN-CRO-YA-BLE que j’ai eue en début d’année, alors même que je n’étais pas encore montée sur le bracelet. J’ai rencontré une doyenne – et pas des moindres, une perle de culture blanche un peu rosée dont la couleur correspond exactement à la teinte baptisée « couleur FRED » ! Nous étions d’ailleurs classées non loin l’une de l’autre, ce qui m’a permis d’avoir un échange passionnant avec elle.

Elle a pu me raconter TOUTE l’histoire de M. Fred Samuel, fondateur de la Maison Fred et expert des perles de culture dès sa création en 1936. Elle a rejoint son atelier en septembre 1936, quelques mois à peine après qu’il ait ouvert sa Maison de joaillerie.  Je pourrais vous garder tout l’après-midi pour vous partager ce parcours tant il est incroyable, mais j’ai bien conscience que votre temps est compté...

Bon, concentrons-nous sur la partie qui nous intéresse le plus – en toute objectivité bien sûr – l’importance des perles de culture dans la vie de Fred Samuel. Après une enfance passée en Argentine, il décide de suivre l'exemple de ses parents et d'entrer en joaillerie. Il fait ses débuts chez les frères Worms, négociants en pierres et en perles. Son rôle : classer les perles par grosseur et par couleur, car – en effet - de prime abord nous semblons toutes blanches, mais nous avons en réalité certains reflets, appelés “orient”, qui nous distinguent. Du rosé au doré, en passant par le gris, le violet et parfois même le noir !

Fred Samuel réalisait ensuite l’estimation de la perle, cela se faisait notamment au toucher pour évaluer la régularité de la surface, mais également la manière dont elle réfléchissait la lumière, l'épaisseur de la couche perlière faisant toute la qualité de la perle.

Cette doyenne avait tellement d’émotions dans la voix lorsqu’elle m’a raconté l’anecdote suivante... Fred Samuel s’attachait à donner un nom à chaque perle pour mieux les reconnaître ! À votre avis, quel nom avait-il pu lui donner ? Figurez-vous qu’elle a failli s’appeler Thérèse, mais finalement ce prénom fut donné à une perle arrivée juste avant elle. Elle fut donc baptisée Suzanne, prénom qu’elle adore aujourd’hui plus que tout.

Elle m’a aussi parlé de l’année 1936, une année importante pour Fred Samuel...  En plus d’être marquée par la naissance de son fils Henri au mois de Mai, c’est cette année là - le même mois pour être exacte - qu’il s’installa au 6 rue Royale, de l’autre côté de la rue, en face des frères Worms. C'est alors qu’il eut sa toute première carte de visite sur laquelle on pouvait lire : « Moderne Joaillier Créateur ». Je me demande bien à quoi ressemblait la rue Royale à cette époque-là : les bals endiablés, rythmés par le jazz, et les tenues des années 30 où les perles étaient très à la mode !  Il était d’ailleurs de coutume d’offrir des rangs de perles aux jeunes filles, qu’elles pouvaient agrandir au fil de leur vie en rajoutant des perles ou des rangs.

Les perles resteront une passion pour Monsieur Fred Samuel tout au long de sa vie. Il laissera même son nom à cette couleur spécifique, « la couleur FRED » que porte toujours Suzanne aujourd’hui. Ah ! Un rayon de lumière, le tiroir du meuble de l’atelier qui s’ouvre, une main délicate qui s’approche de nous...Cela signifie que ma propriétaire est enfin là pour venir nous chercher, deux billets sous le bras ! A mon tour de vibrer au rythme de ce fameux spectacle… Je vous laisse ! »